La sécurité, un droit fondamental pour les travailleurs de l’ombre

Dans un monde où la précarité gagne du terrain, les travailleurs du secteur informel se retrouvent souvent privés des protections les plus élémentaires. Cet article examine les enjeux cruciaux du droit à la sécurité pour ces millions d’individus évoluant dans l’ombre de l’économie officielle.

Le secteur informel : un monde sans filet de sécurité

Le secteur informel regroupe l’ensemble des activités économiques qui échappent à la régulation et à l’enregistrement officiels. Dans de nombreux pays en développement, il représente une part significative de l’emploi total. Ces travailleurs, qu’ils soient vendeurs ambulants, employés domestiques ou artisans, évoluent dans un environnement où les droits fondamentaux sont souvent bafoués.

L’absence de contrat de travail formel prive ces individus de nombreuses protections sociales. Ils n’ont généralement pas accès à une assurance maladie, à une retraite ou à des congés payés. En cas d’accident du travail, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans aucune compensation. Cette situation précaire les expose à de nombreux risques, tant sur le plan de la santé que de la sécurité financière.

Les risques spécifiques liés au travail informel

Les travailleurs du secteur informel sont confrontés à des dangers particuliers dans l’exercice de leur activité. Les conditions de travail sont souvent dangereuses, avec un manque flagrant d’équipements de protection et de formation à la sécurité. Dans le bâtiment par exemple, les ouvriers non déclarés travaillent fréquemment sans casque ni harnais de sécurité, s’exposant à des risques mortels.

Les horaires de travail excessifs sont monnaie courante, pouvant atteindre 12 à 14 heures par jour, 7 jours sur 7. Cette surcharge de travail augmente considérablement les risques d’accidents et nuit à la santé physique et mentale des travailleurs. De plus, l’absence de réglementation sur le salaire minimum conduit souvent à une rémunération insuffisante, forçant ces personnes à cumuler plusieurs emplois pour survivre.

Le cadre juridique international : des droits théoriques mais peu appliqués

Sur le plan international, plusieurs textes affirment le droit à la sécurité pour tous les travailleurs, y compris ceux du secteur informel. La Déclaration universelle des droits de l’homme stipule dans son article 23 que « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». De même, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a adopté plusieurs conventions visant à promouvoir le travail décent et la sécurité au travail.

Néanmoins, l’application de ces principes reste problématique dans de nombreux pays. Les gouvernements peinent souvent à faire respecter ces droits dans le secteur informel, soit par manque de moyens, soit par volonté de ne pas perturber une économie parallèle qui joue un rôle important dans la réduction du chômage. Cette situation crée un vide juridique dont les travailleurs sont les premières victimes.

Vers une reconnaissance progressive des droits des travailleurs informels

Face à cette situation, des initiatives émergent pour tenter d’améliorer les conditions de travail dans le secteur informel. Certains pays ont mis en place des systèmes de protection sociale universelle, permettant à tous les citoyens, y compris les travailleurs informels, d’accéder à une couverture santé de base. C’est le cas par exemple du Rwanda avec son programme Mutuelle de Santé.

Des syndicats et associations de travailleurs informels se sont également constitués dans plusieurs pays. Ils jouent un rôle crucial dans la défense des droits de ces travailleurs, négociant avec les autorités locales pour obtenir de meilleures conditions de travail et une reconnaissance officielle de leur activité. L’Association des Vendeurs de Rue de New Delhi en Inde est un exemple de ce type d’organisation qui a réussi à faire entendre la voix des travailleurs informels.

Les défis de la formalisation : entre protection et flexibilité

La formalisation du travail informel est souvent présentée comme la solution idéale pour garantir les droits des travailleurs. Cependant, cette transition soulève de nombreux défis. Pour beaucoup de travailleurs informels, la flexibilité et l’absence de barrières à l’entrée sont des avantages qu’ils ne souhaitent pas perdre. La formalisation implique souvent des coûts (licences, taxes) et des contraintes administratives qui peuvent être dissuasifs.

Une approche plus nuancée consisterait à développer des formes intermédiaires de protection, adaptées aux réalités du secteur informel. Des systèmes de micro-assurance ou de protection sociale volontaire pourraient permettre aux travailleurs de bénéficier d’une couverture minimale tout en conservant la flexibilité de leur activité. Le Mexique a par exemple mis en place un système d’assurance santé volontaire pour les travailleurs indépendants, qui pourrait servir de modèle pour d’autres pays.

L’impact de la technologie : nouvelles opportunités et nouveaux risques

L’essor des plateformes numériques et de l’économie à la demande crée de nouvelles formes de travail informel. Les chauffeurs Uber ou les livreurs Deliveroo se trouvent dans une zone grise entre travail formel et informel. Ces nouvelles activités soulèvent des questions inédites en termes de droit du travail et de protection sociale.

Si la technologie peut créer de nouveaux risques, elle offre aussi des opportunités pour améliorer la sécurité des travailleurs informels. Des applications mobiles permettent par exemple de signaler les accidents du travail ou de diffuser des informations sur les droits des travailleurs. Au Kenya, l’application SafeStep aide les travailleurs du bâtiment à identifier et à signaler les risques sur les chantiers.

Le droit à la sécurité des travailleurs du secteur informel reste un défi majeur pour de nombreux pays. Si des progrès ont été réalisés, beaucoup reste à faire pour garantir à ces millions de personnes des conditions de travail dignes et sûres. Une approche équilibrée, prenant en compte les spécificités du secteur informel tout en assurant une protection minimale, semble être la voie à suivre pour concilier développement économique et respect des droits fondamentaux.