Le cadre normatif régissant les activités bancaires et financières impose aux acteurs du secteur un ensemble d’obligations déclaratives constituant la pierre angulaire de la surveillance prudentielle. Ces exigences, qui se sont multipliées depuis la crise financière de 2008, visent à renforcer la stabilité du système financier, prévenir les risques systémiques et lutter contre les flux financiers illicites. À l’interface entre droit bancaire, droit financier et droit pénal des affaires, ces obligations déclaratives forment un maillage complexe dont la maîtrise représente un défi majeur pour les établissements assujettis. Face à l’évolution constante de la réglementation et l’intensification des contrôles, comprendre la nature, la portée et les enjeux de ces obligations devient fondamental pour tout acteur du secteur financier.
Le cadre juridique des obligations déclaratives : une architecture normative multiniveau
Les obligations déclaratives en matière bancaire et financière s’inscrivent dans un cadre juridique stratifié, combinant normes internationales, européennes et nationales. Cette architecture normative reflète la volonté des régulateurs de construire un système cohérent de surveillance financière, tout en tenant compte des spécificités de chaque marché.
Au niveau international, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a élaboré des standards prudentiels, notamment à travers les accords de Bâle III, qui imposent aux établissements bancaires de déclarer régulièrement leur ratio de solvabilité, leur ratio de levier et leurs indicateurs de liquidité. Ces normes ont été complétées par les recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI) en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui prévoient l’obligation pour les institutions financières de signaler les opérations suspectes aux autorités compétentes.
À l’échelle européenne, le droit de l’Union a considérablement renforcé et harmonisé les obligations déclaratives. Le Mécanisme de Surveillance Unique (MSU), pilier de l’Union bancaire, a instauré un reporting prudentiel unifié sous l’égide de la Banque Centrale Européenne. Parallèlement, le règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) impose la déclaration des transactions sur produits dérivés, tandis que la directive MIF II (Marchés d’Instruments Financiers) étend les obligations de transparence pré et post-négociation.
Le dispositif législatif français
En droit français, ces obligations sont principalement codifiées dans le Code monétaire et financier, complété par les règlements de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et les instructions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Ce corpus normatif définit précisément les informations à communiquer, leur périodicité et leurs destinataires.
La transposition de la quatrième directive anti-blanchiment par l’ordonnance du 1er décembre 2016 a significativement renforcé les obligations déclaratives en matière de lutte contre le blanchiment. Elle a notamment instauré un registre des bénéficiaires effectifs et étendu le champ des entités assujetties aux obligations de vigilance et de déclaration.
- Obligation de reporting prudentiel (solvabilité, liquidité, grands risques)
- Déclaration des opérations suspectes (LCB-FT)
- Reporting des transactions sur instruments financiers
- Communication des franchissements de seuils
Cette architecture normative multiniveau témoigne de la complexité croissante du droit bancaire et financier, nécessitant une veille juridique permanente et des systèmes d’information performants pour assurer une conformité optimale.
Les obligations déclaratives prudentielles : garantie de la stabilité financière
Les obligations déclaratives prudentielles constituent le socle de la supervision bancaire et financière. Elles permettent aux autorités de contrôle d’évaluer la solidité financière des établissements et de prévenir les risques systémiques susceptibles d’affecter l’ensemble du système financier.
Le reporting COREP (Common Reporting) représente l’une des principales obligations déclaratives prudentielles pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement. Institué par l’Autorité Bancaire Européenne, ce reporting standardisé couvre les exigences en fonds propres, les grands risques et le ratio de levier. Les établissements doivent transmettre ces informations trimestriellement à l’autorité nationale compétente, en l’occurrence l’ACPR pour la France.
Parallèlement, le reporting FINREP (Financial Reporting) concerne les informations financières des établissements appliquant les normes comptables internationales IFRS. Il comprend le bilan, le compte de résultat et diverses annexes détaillant les expositions par secteur d’activité, zone géographique et catégorie de contrepartie.
Les exigences spécifiques liées à la liquidité
La crise financière de 2008 ayant mis en lumière l’importance du risque de liquidité, les accords de Bâle III ont introduit deux ratios faisant l’objet d’obligations déclaratives spécifiques :
Le Liquidity Coverage Ratio (LCR) vise à garantir que les établissements disposent d’actifs liquides de haute qualité suffisants pour faire face à une crise de liquidité sur 30 jours. Les banques doivent déclarer mensuellement ce ratio à l’ACPR.
Le Net Stable Funding Ratio (NSFR) a pour objectif d’assurer que les établissements financent leurs activités à long terme par des ressources stables. Ce ratio fait l’objet d’une déclaration trimestrielle.
Pour les établissements d’importance systémique, des exigences supplémentaires s’appliquent. Ces banques systémiques doivent fournir des informations détaillées sur leur plan préventif de rétablissement et de résolution, communément appelé « testament bancaire ». Ce document précise les mesures envisagées en cas de détérioration significative de leur situation financière.
- Reporting COREP : fonds propres, grands risques, ratio de levier
- Reporting FINREP : données financières selon les normes IFRS
- Déclaration des ratios de liquidité (LCR et NSFR)
- Plan préventif de rétablissement et de résolution pour les banques systémiques
Ces obligations déclaratives prudentielles, bien que techniques et parfois perçues comme contraignantes, constituent un rempart contre les crises financières. Elles permettent aux autorités de supervision d’identifier précocement les vulnérabilités et d’intervenir avant qu’elles ne dégénèrent en risque systémique.
Les obligations déclaratives en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) représente un enjeu majeur pour la communauté internationale. Dans ce domaine, les obligations déclaratives des établissements financiers jouent un rôle prépondérant, formant la première ligne de défense contre les flux financiers illicites.
Au cœur du dispositif se trouve l’obligation de déclaration de soupçon. Codifiée à l’article L.561-15 du Code monétaire et financier, cette obligation impose aux professionnels assujettis de déclarer à TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers clandestins) toute opération qui leur paraît susceptible de provenir d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, du financement du terrorisme, ou de provenir d’une fraude fiscale.
La mise en œuvre de cette obligation nécessite un dispositif de détection des opérations atypiques basé sur une approche par les risques. Les établissements doivent élaborer une cartographie des risques LCB-FT tenant compte de la nature de leurs activités, de leur clientèle et des zones géographiques concernées. Cette cartographie détermine l’intensité des mesures de vigilance à déployer.
Le renforcement des obligations d’identification
Les obligations déclaratives en matière de LCB-FT s’accompagnent d’exigences accrues concernant l’identification des clients et des bénéficiaires effectifs. La cinquième directive anti-blanchiment, transposée en droit français par l’ordonnance du 12 février 2020, a renforcé ces obligations en créant un registre centralisé des bénéficiaires effectifs.
Les établissements financiers doivent désormais recueillir et conserver les informations relatives aux bénéficiaires effectifs de leurs clients personnes morales, définis comme les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent en dernier lieu le client, ou pour lesquelles une opération est exécutée. Ces informations doivent être régulièrement mises à jour et transmises au registre tenu par le greffe du tribunal de commerce.
Les personnes politiquement exposées (PPE) font l’objet d’une vigilance particulière. Les établissements doivent mettre en place des procédures adaptées permettant de déterminer si le client ou son bénéficiaire effectif est une PPE, et appliquer des mesures de vigilance renforcées lorsque c’est le cas.
- Déclaration de soupçon à TRACFIN
- Identification et vérification de l’identité des clients et bénéficiaires effectifs
- Déclaration au registre des bénéficiaires effectifs
- Vigilance renforcée pour les PPE et les opérations complexes
Le non-respect de ces obligations déclaratives expose les établissements à de lourdes sanctions administratives et pénales. La Commission des sanctions de l’ACPR peut prononcer des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 100 millions d’euros ou 10% du chiffre d’affaires annuel, ainsi que des interdictions d’exercer certaines activités ou des retraits d’agrément.
Les obligations déclaratives sur les marchés financiers : transparence et intégrité
Les marchés financiers, par leur nature même, nécessitent un haut degré de transparence pour fonctionner efficacement. Les obligations déclaratives dans ce domaine visent à garantir l’intégrité des marchés, protéger les investisseurs et prévenir les abus de marché.
La directive MIF II et le règlement MIFIR, entrés en application en janvier 2018, ont considérablement étendu le périmètre des obligations déclaratives. Les entreprises d’investissement doivent désormais déclarer à l’AMF l’ensemble des transactions sur instruments financiers, y compris celles exécutées en dehors des plateformes de négociation. Ces déclarations, effectuées au plus tard à J+1, doivent contenir des informations détaillées sur les instruments, les parties à la transaction, les quantités, les prix, ainsi que les identifiants des clients pour le compte desquels la transaction a été exécutée.
Pour faciliter l’identification des clients, le règlement a instauré l’obligation d’obtenir un code LEI (Legal Entity Identifier) pour toute personne morale souhaitant effectuer une transaction sur instruments financiers. Ce code unique permet aux régulateurs de suivre l’activité des acteurs du marché et d’identifier plus facilement les éventuelles pratiques abusives.
La prévention des abus de marché
Le règlement Abus de marché (MAR) complète ce dispositif en imposant plusieurs obligations déclaratives spécifiques visant à prévenir les opérations d’initiés et les manipulations de marché.
Les émetteurs doivent publier dès que possible toute information privilégiée qui les concerne directement. Si la publication est différée pour protéger un intérêt légitime, l’émetteur doit en informer l’AMF immédiatement après la publication de l’information.
Les dirigeants d’émetteurs cotés et les personnes qui leur sont étroitement liées doivent déclarer à l’AMF et à l’émetteur toute transaction effectuée pour leur compte propre et se rapportant aux actions ou aux titres de créance de cet émetteur. Cette déclaration doit être effectuée promptement et au plus tard trois jours ouvrables après la date de la transaction.
Les actionnaires franchissant certains seuils de participation (5%, 10%, 15%, etc.) dans le capital d’une société cotée doivent le déclarer à l’AMF et à l’émetteur dans un délai de quatre jours de bourse. Cette obligation de déclaration des franchissements de seuils permet d’assurer la transparence de l’actionnariat des sociétés cotées.
- Déclaration des transactions sur instruments financiers
- Publication des informations privilégiées
- Déclaration des transactions des dirigeants
- Notification des franchissements de seuils
Les plateformes de négociation sont elles aussi soumises à des obligations déclaratives. Elles doivent notamment communiquer à l’AMF les données de référence relatives aux instruments financiers admis à la négociation et signaler tout ordre ou transaction suspect pouvant constituer une opération d’initié ou une manipulation de marché.
Défis pratiques et perspectives d’évolution des obligations déclaratives
La multiplication et la complexification des obligations déclaratives posent de nombreux défis opérationnels aux établissements assujettis. Ces défis concernent tant la collecte et la qualité des données que leur transmission aux autorités dans les délais impartis.
La question de la qualité des données apparaît primordiale. Les informations transmises aux régulateurs doivent être exactes, complètes et cohérentes. Or, de nombreux établissements sont confrontés à des problématiques de silos informationnels, les données étant souvent dispersées dans différents systèmes d’information non interopérables. Cette situation génère des risques d’erreurs et nécessite des investissements conséquents pour mettre en place des architectures de données intégrées.
Les coûts de mise en conformité représentent un enjeu majeur, particulièrement pour les petits et moyens établissements. Selon une étude de KPMG, les banques européennes consacrent en moyenne 10% de leurs charges opérationnelles au respect des obligations réglementaires, dont une part significative concerne les obligations déclaratives.
L’apport des technologies réglementaires
Face à ces défis, les RegTech (Regulatory Technology) offrent des solutions prometteuses. Ces technologies spécialisées dans l’optimisation des processus de conformité réglementaire permettent d’automatiser la collecte, l’analyse et la transmission des données aux autorités de contrôle.
Les systèmes d’intelligence artificielle et de machine learning peuvent améliorer considérablement la détection des opérations atypiques dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. En analysant les patterns de transactions, ces technologies identifient avec plus de précision les comportements suspects, réduisant ainsi le taux de faux positifs qui mobilisent inutilement les ressources des établissements.
La blockchain présente un potentiel intéressant pour sécuriser et fluidifier les processus déclaratifs. Cette technologie pourrait permettre aux régulateurs d’accéder directement aux données des établissements, dans un environnement sécurisé garantissant l’intégrité et la traçabilité des informations.
- Automatisation des processus déclaratifs grâce aux RegTech
- Utilisation de l’intelligence artificielle pour la détection des opérations suspectes
- Développement de solutions blockchain pour la transmission sécurisée des données
Vers une approche plus intégrée de la supervision
L’évolution des obligations déclaratives s’inscrit dans une tendance de fond vers une supervision plus intégrée et plus proactive. Les régulateurs européens travaillent à l’harmonisation des formats de reporting et à la création d’un point d’entrée unique pour les déclarations (European Single Access Point).
Le projet BIRD (Banks’ Integrated Reporting Dictionary), porté par la Banque Centrale Européenne, vise à standardiser les définitions et les modèles de données utilisés pour le reporting réglementaire. Cette initiative devrait réduire les coûts de mise en conformité et améliorer la comparabilité des données entre établissements.
Dans ce contexte d’évolution permanente, les établissements financiers doivent adopter une approche stratégique de la conformité réglementaire, intégrant les obligations déclaratives dès la conception de leurs produits et services (compliance by design). Cette approche préventive permet non seulement de réduire les risques de non-conformité, mais transforme une contrainte réglementaire en opportunité d’amélioration des processus internes.
Au-delà de la contrainte : vers une culture de la transparence financière
Les obligations déclaratives, souvent perçues comme des contraintes administratives, constituent en réalité des leviers puissants pour renforcer l’intégrité du système financier et restaurer la confiance du public. Leur respect ne doit pas se limiter à une approche formaliste mais s’inscrire dans une véritable culture de la transparence.
Cette culture de la transparence commence par une gouvernance adaptée. Le conseil d’administration et la direction générale doivent s’impliquer activement dans la définition et le suivi des politiques de conformité. Cette implication au plus haut niveau, connue sous le terme de tone from the top, est fondamentale pour diffuser une culture de l’éthique et de la responsabilité au sein de l’organisation.
La formation des collaborateurs représente un autre aspect fondamental. Les obligations déclaratives étant souvent techniques et évolutives, les établissements doivent mettre en place des programmes de formation continue adaptés aux différentes fonctions. Ces formations doivent dépasser la simple présentation des procédures pour expliquer les finalités des obligations déclaratives et leur contribution à la protection de l’intérêt général.
La valorisation stratégique de la conformité
Au-delà de la dimension réglementaire, les établissements peuvent valoriser leur conformité aux obligations déclaratives comme un élément de différenciation stratégique. Une réputation d’intégrité constitue un actif immatériel précieux dans un secteur où la confiance est fondamentale.
Certains établissements vont au-delà des exigences minimales en adoptant des standards plus élevés de transparence. Ces démarches volontaires, relevant de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), peuvent inclure la publication d’informations détaillées sur l’empreinte carbone des portefeuilles d’investissement ou sur l’impact social des financements accordés.
Les rapports intégrés, combinant informations financières et extra-financières, permettent aux parties prenantes d’appréhender globalement la performance et la création de valeur à long terme de l’établissement. Cette approche holistique de la communication financière répond aux attentes croissantes des investisseurs en matière de transparence.
- Implication du conseil d’administration et de la direction générale
- Formation continue des collaborateurs aux enjeux de conformité
- Valorisation de la transparence comme avantage compétitif
- Publication volontaire d’informations extra-financières
Les obligations déclaratives en droit bancaire et financier, loin d’être de simples formalités administratives, constituent ainsi les fondements d’un système financier plus transparent, plus stable et plus éthique. Leur respect nécessite des investissements significatifs en termes de systèmes d’information, de procédures et de formation, mais ces investissements doivent être considérés comme contribuant à la pérennité et à la légitimité des établissements financiers dans un environnement où la confiance du public est plus que jamais déterminante.