La libération pour vice de procédure : entre garantie des droits et critiques du laxisme judiciaire

La procédure pénale française repose sur un équilibre fragile entre l’efficacité de la répression et la protection des libertés individuelles. Dans ce cadre, les vices de procédure constituent un mécanisme de contrôle judiciaire fondamental, permettant d’annuler des actes d’enquête ou d’instruction lorsqu’ils ne respectent pas les règles établies. La libération d’un suspect ou d’un prévenu pour vice de procédure cristallise régulièrement les tensions entre magistrats, forces de l’ordre, politiques et opinion publique. Ce phénomène, souvent décrié comme une échappatoire technique favorisant l’impunité, représente pourtant un pilier de l’État de droit. Cette analyse juridique approfondie examine les fondements, les mécanismes et les conséquences des vices de procédure dans le système judiciaire français, tout en questionnant la pertinence des critiques qui leur sont adressées.

Fondements juridiques et historiques des vices de procédure

Les vices de procédure s’inscrivent dans une tradition juridique ancienne visant à protéger les droits fondamentaux des justiciables. Cette notion remonte aux principes issus de la Révolution française et s’est progressivement affirmée comme une garantie fondamentale contre l’arbitraire judiciaire. La maxime latine « Nullum crimen, nulla poena sine lege » (pas de crime, pas de peine sans loi) trouve son prolongement dans l’idée qu’une procédure irrégulière ne peut légitimement aboutir à une condamnation.

L’évolution contemporaine du droit a considérablement renforcé ces principes. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), dans son article 6, garantit le droit à un procès équitable, tandis que son article 5 protège la liberté individuelle. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement affiné ces exigences, imposant aux États des standards élevés en matière de procédure pénale.

En droit français, le Code de procédure pénale (CPP) organise minutieusement les différentes phases de l’enquête et de l’instruction. L’article préliminaire du CPP, introduit par la loi du 15 juin 2000, pose le principe fondamental selon lequel « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ». Cette disposition cristallise l’importance accordée au respect des formes procédurales.

Les vices de procédure peuvent être classifiés selon leur gravité et leurs effets :

  • Les nullités d’ordre public : touchant aux principes fondamentaux de la procédure, elles peuvent être soulevées à tout moment
  • Les nullités d’intérêt privé : concernant la protection des intérêts particuliers, elles doivent être invoquées par les parties

La Chambre criminelle de la Cour de cassation joue un rôle déterminant dans l’interprétation de ces règles. Sa jurisprudence a notamment établi le principe selon lequel « il n’y a pas de nullité sans grief », exigeant que l’irrégularité ait porté atteinte aux intérêts de la partie qui l’invoque. Cette exigence, codifiée à l’article 171 du CPP, constitue un garde-fou contre une application trop formaliste des règles procédurales.

Le Conseil constitutionnel a lui aussi contribué à l’affirmation des garanties procédurales, notamment à travers les questions prioritaires de constitutionnalité. Sa décision du 30 juillet 2010 a par exemple consacré le droit à un recours effectif contre les perquisitions irrégulières, renforçant ainsi le contrôle des actes d’enquête.

Typologie des vices de procédure menant à une libération

Les vices de procédure susceptibles d’entraîner la libération d’un suspect ou d’un prévenu sont multiples et variés. Leur connaissance approfondie est fondamentale tant pour les magistrats que pour les avocats qui doivent veiller au respect des règles procédurales.

Irrégularités lors de l’interpellation et de la garde à vue

La garde à vue constitue une phase particulièrement sensible où les droits du suspect doivent être scrupuleusement respectés. Plusieurs manquements peuvent entraîner la nullité de la procédure :

  • L’absence de notification des droits au gardé à vue
  • Le dépassement des délais légaux de garde à vue
  • Le refus d’accès à un avocat
  • L’absence d’examen médical lorsqu’il est requis

L’arrêt de la Chambre criminelle du 17 janvier 2012 a ainsi annulé une procédure complète car le procès-verbal ne mentionnait pas l’heure exacte à laquelle le suspect avait pu s’entretenir avec son avocat, illustrant la rigueur exigée dans le respect des formalités.

Défauts dans les actes d’enquête

Les perquisitions et saisies sont strictement encadrées par le CPP. Des vices peuvent survenir lorsque :

Les officiers de police judiciaire (OPJ) interviennent hors de leur compétence territoriale sans autorisation. Les horaires légaux pour les perquisitions (6h-21h sauf exceptions) ne sont pas respectés. Le consentement du propriétaire n’est pas recueilli dans les cas où il est nécessaire. Les formalités de saisie des objets ou documents ne sont pas correctement accomplies.

Dans une affaire médiatisée de trafic de stupéfiants, la Cour d’appel de Paris a prononcé en 2018 l’annulation d’une perquisition car l’assentiment écrit de l’occupant des lieux n’avait pas été recueilli préalablement à l’opération, entraînant la remise en liberté de plusieurs prévenus.

Problèmes liés aux écoutes téléphoniques et à la surveillance

Les interceptions de communications, particulièrement invasives pour la vie privée, font l’objet d’un encadrement strict. Leur irrégularité peut résulter de :

L’absence d’autorisation écrite du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention (JLD). Un défaut de motivation de cette autorisation. Le dépassement de la durée maximale autorisée. L’interception de communications entre un avocat et son client.

En 2015, la Cour de cassation a invalidé des écoutes téléphoniques dans une affaire de corruption car elles avaient été prolongées sans nouvelle ordonnance motivée, conduisant à l’annulation de pans entiers de la procédure.

Irrégularités dans la détention provisoire

La détention provisoire, mesure exceptionnelle avant jugement, est soumise à des conditions strictes dont le non-respect entraîne la libération immédiate :

Le dépassement des délais légaux de détention constitue un motif classique de libération. L’absence de débat contradictoire préalable devant le JLD peut vicier la procédure. Le défaut de motivation suffisante de l’ordonnance de placement en détention est sanctionné. La non-comparution de l’avocat régulièrement convoqué rend la décision irrégulière.

Un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles du 5 mars 2020 a ainsi ordonné la mise en liberté d’un prévenu dont l’ordonnance de prolongation de détention provisoire avait été signée avec un jour de retard, illustrant le formalisme rigoureux qui s’attache à la privation de liberté.

Procédure de contestation et mécanismes d’annulation

La contestation des vices de procédure obéit à des règles précises, tant dans ses modalités que dans ses délais. Cette technicité procédurale requiert une expertise particulière des avocats pénalistes qui doivent maîtriser ces mécanismes pour assurer efficacement la défense de leurs clients.

Requêtes en nullité devant la chambre de l’instruction

La voie privilégiée pour contester un vice de procédure dans le cadre d’une information judiciaire est la requête en nullité adressée à la chambre de l’instruction. Cette procédure est strictement encadrée par les articles 170 à 174 du CPP :

La requête doit être formée par écrit et motivée, sous peine d’irrecevabilité. Les délais sont contraints : six mois à compter de chaque mise en examen ou audition de témoin assisté pour les actes antérieurs, et six mois à compter de la notification ou de la connaissance de l’acte pour les actes ultérieurs. Seules les parties au profit desquelles la formalité a été prévue peuvent invoquer une nullité d’intérêt privé.

La chambre de l’instruction dispose d’un pouvoir d’appréciation considérable. Elle examine non seulement la régularité formelle de l’acte contesté, mais évalue aussi le grief causé à la partie qui invoque la nullité. Cette notion de grief, codifiée à l’article 171 du CPP, constitue un filtre permettant d’écarter les demandes purement dilatoires ou formalistes.

Exceptions de nullité devant les juridictions de jugement

Devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises, les vices de procédure peuvent être soulevés par voie d’exception, selon des modalités spécifiques :

L’article 385 du CPP prévoit que les exceptions de nullité doivent être présentées avant toute défense au fond, à peine d’irrecevabilité. Cette règle, dite de la « purge des nullités », vise à éviter que les parties ne conservent des moyens de nullité comme une épée de Damoclès sur la procédure. Pour les affaires n’ayant pas fait l’objet d’une information judiciaire, le tribunal peut annuler lui-même les actes irréguliers.

La jurisprudence a néanmoins assoupli ces règles en permettant d’invoquer à tout moment les nullités d’ordre public, qui touchent à l’organisation judiciaire ou aux principes fondamentaux de la procédure.

Effets de l’annulation sur la procédure

Lorsqu’un acte est annulé pour vice de procédure, les conséquences peuvent varier considérablement selon la nature de l’acte et son importance dans l’économie générale de la procédure :

Le principe fondamental est celui de la « contagion des nullités » : l’article 174 du CPP prévoit que les actes annulés sont retirés du dossier et qu’il est interdit d’en tirer aucune information contre les parties. L’étendue de l’annulation peut être limitée à l’acte vicié ou s’étendre à toute la procédure ultérieure si celle-ci trouve son support nécessaire dans l’acte annulé.

Un arrêt de la Chambre criminelle du 14 octobre 2014 illustre cette problématique : l’annulation d’une perquisition irrégulière a entraîné celle de toutes les saisies effectuées lors de cette opération, puis des expertises réalisées sur les objets saisis, conduisant finalement à l’effondrement de l’accusation et à la libération du prévenu.

La théorie du support nécessaire, développée par la jurisprudence, permet de déterminer quels actes doivent être annulés par « contamination ». Ainsi, si une garde à vue est annulée, tous les procès-verbaux d’audition réalisés pendant cette période le seront également, mais pas nécessairement les actes d’enquête parallèles n’ayant aucun lien avec cette garde à vue.

Voies de recours contre les décisions statuant sur les nullités

Les décisions rendues en matière de nullité de procédure peuvent faire l’objet de recours spécifiques :

Les arrêts de la chambre de l’instruction statuant sur une requête en nullité sont susceptibles de pourvoi en cassation, mais seulement pour violation de la loi. Les décisions des juridictions de jugement rejetant une exception de nullité ne peuvent généralement être contestées qu’avec l’appel ou le pourvoi formé contre la décision sur le fond.

Le pourvoi dans l’intérêt de la loi, prévu à l’article 621 du CPP, permet au procureur général près la Cour de cassation de soumettre à la censure de cette juridiction des décisions définitives qu’il estime contraires à la loi, sans que les parties puissent s’en prévaloir pour éluder les dispositions de la décision attaquée.

Études de cas jurisprudentiels marquants

L’analyse de décisions emblématiques permet de saisir concrètement comment les vices de procédure peuvent conduire à la libération de personnes mises en cause, parfois dans des affaires graves. Ces cas illustrent la tension permanente entre la recherche de la vérité et le respect des garanties procédurales.

L’affaire Kettab : la rigueur des délais de détention provisoire

En 2010, la Cour de cassation a rendu un arrêt retentissant dans l’affaire Kettab, du nom d’un homme soupçonné de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes. La Chambre criminelle a ordonné sa mise en liberté immédiate car le délai de comparution devant la chambre de l’instruction, saisi d’un appel contre une ordonnance de prolongation de détention provisoire, n’avait pas été respecté.

La loi impose en effet que cette audience se tienne dans les 20 jours de l’appel. Dans cette affaire, l’audience avait eu lieu 21 jours après l’appel. Ce dépassement d’un seul jour a suffi à entraîner la remise en liberté du suspect, la Cour de cassation rappelant que « les dispositions de l’article 194 du code de procédure pénale sont d’ordre public et leur inobservation entraîne la mise en liberté de la personne mise en examen ».

Cette décision a provoqué de vives réactions politiques et médiatiques, mais elle illustre parfaitement le principe fondamental selon lequel la privation de liberté est une mesure exceptionnelle qui ne peut être maintenue qu’en respectant scrupuleusement les garanties légales.

L’affaire Lagarde : l’importance du formalisme dans les perquisitions

Dans une affaire de trafic de stupéfiants jugée en 2016, la Cour d’appel de Montpellier a annulé une perquisition réalisée au domicile du principal suspect, Julien Lagarde, car le procès-verbal ne mentionnait pas explicitement que l’opération avait débuté après 6 heures du matin, horaire légal prévu par l’article 59 du CPP.

Bien que les enquêteurs aient affirmé à l’audience que la perquisition avait commencé à 6h15, l’absence de cette mention sur le procès-verbal a été jugée suffisamment grave pour entraîner la nullité de l’acte. Cette annulation a eu un effet domino sur toute la procédure, puisque c’est lors de cette perquisition qu’avaient été découverts plusieurs kilos de résine de cannabis et des documents comptables du trafic.

Privé de ces éléments de preuve essentiels, le ministère public n’a pu maintenir les charges les plus graves, conduisant à une requalification des faits et, finalement, à une peine considérablement réduite pour le prévenu.

L’affaire des écoutes de Sarkozy : la protection du secret professionnel

L’affaire dite des « écoutes de Nicolas Sarkozy » constitue un exemple emblématique de la protection accordée aux communications entre un avocat et son client. Dans ce dossier, des conversations téléphoniques entre l’ancien président de la République et son avocat, Maître Herzog, avaient été interceptées dans le cadre d’une information judiciaire.

La défense a soulevé la nullité de ces interceptions, arguant qu’elles violaient le secret professionnel protégé par l’article 100-7 du CPP. Après un long combat judiciaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mars 2016, a validé le principe de ces écoutes, tout en posant des limites strictes : si les communications entre un avocat et son client peuvent être interceptées, elles ne peuvent être transcrites et versées à la procédure que si elles révèlent des indices de participation personnelle de l’avocat à une infraction.

Cette affaire illustre la recherche permanente d’équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection des droits de la défense. Si elle n’a pas abouti à une libération, elle a néanmoins conduit à l’annulation de certaines transcriptions d’écoutes, affaiblissant partiellement l’accusation.

L’affaire des frères Jourdain : la motivation des décisions de détention

En 2019, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes a ordonné la mise en liberté des frères Jourdain, poursuivis pour des faits de violences aggravées, car l’ordonnance de placement en détention provisoire ne caractérisait pas suffisamment en quoi la détention constituait « l’unique moyen » de parvenir aux objectifs visés par la loi.

La réforme de la détention provisoire issue de la loi du 23 mars 2019 a en effet renforcé l’obligation de motivation des décisions de placement en détention, en exigeant que le juge des libertés et de la détention explique concrètement pourquoi les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique seraient insuffisantes.

Dans cette affaire, la motivation stéréotypée de l’ordonnance, se contentant de formules générales sans analyse spécifique de la situation des prévenus, a été sanctionnée par la chambre de l’instruction. Cette décision souligne l’exigence croissante de motivation individualisée des décisions affectant la liberté des personnes.

Débat juridique et sociétal : entre protection des droits et critiques du formalisme

La libération pour vice de procédure suscite des débats passionnés qui dépassent le strict cadre juridique pour s’inscrire dans des questionnements plus larges sur l’équilibre entre sécurité et libertés. Ces controverses révèlent des visions antagonistes de la justice et de ses finalités.

Arguments en faveur d’une application stricte des règles procédurales

Les défenseurs d’une application rigoureuse des règles de procédure s’appuient sur plusieurs arguments fondamentaux :

La protection des libertés individuelles constitue le socle de leur raisonnement. Dans un État de droit, la fin ne peut justifier les moyens, et une preuve obtenue illégalement ne saurait fonder une condamnation sans compromettre la légitimité même de la justice. L’avocat Henri Leclerc, figure historique du barreau français, résumait cette position : « La procédure n’est pas un obstacle à la manifestation de la vérité, elle est la condition de sa légitimité ».

L’effet pédagogique des annulations est souvent mis en avant : la sanction des irrégularités incite les enquêteurs et magistrats à une plus grande rigueur dans leur travail quotidien. Le professeur de droit Jean Pradel reconnaît que « la crainte de l’annulation constitue un puissant facteur de respect des règles par les autorités de poursuite ».

La dimension internationale du débat est régulièrement invoquée, notamment à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt Salduz contre Turquie de 2008, consacrant le droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue, illustre comment les standards européens ont contribué à renforcer les garanties procédurales dans les droits nationaux.

Critiques du formalisme excessif

À l’opposé, les critiques du formalisme procédural développent une argumentation centrée sur l’efficacité de la justice et la protection de la société :

Le concept de « vérité judiciaire » est opposé à celui de vérité factuelle. Des magistrats comme Philippe Bilger, ancien avocat général, dénoncent un système où « la forme l’emporte sur le fond » et où des coupables peuvent échapper à leur responsabilité en raison de « détails techniques » sans rapport avec leur culpabilité réelle.

La frustration des victimes face aux libérations pour vice de procédure alimente une perception négative de la justice. L’association Aide aux Parents d’Enfants Victimes (APEV) a ainsi régulièrement dénoncé le « sentiment d’injustice insupportable » ressenti par les familles lorsqu’un suspect est libéré pour des raisons procédurales.

Des comparaisons internationales sont fréquemment invoquées, notamment avec le système américain qui a développé des exceptions à la règle d’exclusion des preuves illégales (exclusionary rule), comme la doctrine de la « bonne foi » (good faith exception) permettant de valider certaines preuves obtenues irrégulièrement lorsque les policiers pensaient agir légalement.

Évolutions législatives et tendances jurisprudentielles

Face à ces débats, le législateur et les juridictions ont tenté d’apporter des réponses nuancées :

La loi du 24 août 1993 a introduit l’exigence du grief pour les nullités d’intérêt privé, limitant les cas d’annulation aux situations où l’irrégularité a effectivement porté atteinte aux intérêts de la partie qui l’invoque.

La jurisprudence a progressivement affiné sa position. La Chambre criminelle a ainsi développé une approche pragmatique, distinguant les formalités substantielles, dont la violation entraîne automatiquement la nullité, et les formalités accessoires pour lesquelles un grief doit être démontré.

Des réformes successives ont instauré des mécanismes de « purge des nullités », obligeant les parties à soulever les irrégularités dans des délais contraints, sous peine de forclusion. Cette évolution vise à éviter que des vices de procédure ne soient invoqués tardivement, à des fins dilatoires.

L’influence de la justice constitutionnelle s’est considérablement accrue depuis l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité en 2010. Le Conseil constitutionnel a ainsi été amené à se prononcer sur de nombreuses dispositions du CPP, contribuant à un rééquilibrage entre droits de la défense et efficacité des poursuites.

Perspectives comparées et réformes envisageables

Une approche comparative permet d’envisager des pistes d’évolution pour le système français :

Le modèle allemand distingue les « interdictions de preuve » (Beweisverbote) absolues, concernant les violations graves des droits fondamentaux, et les irrégularités mineures qui n’entraînent pas l’exclusion des preuves. Cette approche proportionnée pourrait inspirer des évolutions du droit français.

La théorie de la « connexion atténuée » (attenuated connection), développée par la Cour suprême américaine, permet de valider certaines preuves indirectement liées à une irrégularité initiale lorsque le lien entre l’illégalité et la preuve s’est suffisamment distendu. Cette doctrine pourrait nuancer la théorie française du « fruit de l’arbre empoisonné ».

Des réformes visant à réparer certaines irrégularités plutôt qu’à annuler l’ensemble de la procédure pourraient être envisagées. Par exemple, la possibilité de recommencer certains actes d’enquête annulés, sous le contrôle du juge, permettrait de concilier respect des formes et recherche de la vérité.

L’avenir des vices de procédure : vers un nouvel équilibre judiciaire

L’évolution des vices de procédure s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation du système judiciaire français, confronté à des défis majeurs et des tensions contradictoires. Plusieurs facteurs dessinent les contours de ce que pourrait devenir ce mécanisme dans les années à venir.

Impact de la numérisation et des nouvelles technologies

La transformation numérique de la justice modifie profondément les conditions dans lesquelles peuvent survenir les vices de procédure :

La dématérialisation des procédures, accélérée par le plan de transformation numérique du ministère de la Justice, pourrait réduire certains risques d’erreurs formelles (horodatage automatique, génération de documents standardisés, alertes automatiques sur les délais). Toutefois, elle crée aussi de nouveaux risques spécifiques (problèmes de signature électronique, défaillances techniques, questions d’archivage numérique).

Les nouveaux moyens d’investigation numériques (exploitation des données massives, géolocalisation, captation de données informatiques) soulèvent des questions inédites en matière de régularité procédurale. La CNIL a ainsi alerté sur les risques d’atteinte à la vie privée posés par certaines techniques d’enquête numérique insuffisamment encadrées.

L’intelligence artificielle, de plus en plus présente dans l’écosystème judiciaire, pourrait à terme jouer un rôle dans la détection préventive des irrégularités procédurales, mais soulève elle-même des interrogations quant à sa conformité aux principes fondamentaux du procès équitable.

Tensions entre efficacité judiciaire et garanties des droits

La question des vices de procédure cristallise des tensions structurelles au sein du système judiciaire :

La pression médiatique et politique s’accentue lors d’affaires retentissantes où des libérations pour vice de procédure sont ordonnées. Le Syndicat de la magistrature a régulièrement dénoncé les « attaques contre l’indépendance judiciaire » que constituent certaines réactions politiques à ces décisions.

Les contraintes budgétaires et le manque de moyens de la justice française constituent un facteur aggravant le risque d’erreurs procédurales. Le rapport annuel de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) place régulièrement la France en-dessous de la moyenne européenne pour le budget alloué par habitant à la justice.

La formation des acteurs judiciaires représente un enjeu majeur. L’École Nationale de la Magistrature (ENM) a renforcé ses modules consacrés à la procédure pénale, tandis que la formation continue des policiers et gendarmes a été développée pour réduire les risques d’irrégularités.

Perspectives de réformes législatives

Plusieurs pistes de réformes sont régulièrement évoquées pour faire évoluer le traitement des vices de procédure :

Une gradation plus fine des sanctions procédurales pourrait être instaurée, distinguant davantage selon la gravité de l’irrégularité et son impact réel sur les droits de la défense. La création d’un régime intermédiaire de « nullité partielle » permettrait de sanctionner l’irrégularité sans faire tomber l’ensemble de la procédure.

L’introduction d’un mécanisme de validation a posteriori de certains actes irréguliers pourrait être envisagée, sur le modèle de ce qui existe dans certains pays européens. Le juge des libertés et de la détention pourrait par exemple être habilité à valider rétroactivement certaines mesures d’enquête urgentes prises sans autorisation préalable, sous réserve qu’elles respectent des conditions de fond.

Une simplification du code de procédure pénale, régulièrement qualifié d’« illisible » par les praticiens eux-mêmes, contribuerait à réduire le risque d’erreurs formelles. Le rapport Beaume-Natali de 2018 sur la procédure pénale avait déjà préconisé une « refonte globale » du CPP pour le rendre plus cohérent et accessible.

L’influence croissante du droit européen et international

L’évolution du traitement des vices de procédure s’inscrit dans un contexte d’internationalisation croissante du droit pénal :

La Cour européenne des droits de l’homme continue d’enrichir sa jurisprudence sur les garanties procédurales. L’arrêt Ibrahim et autres contre Royaume-Uni de 2016 a ainsi affiné l’approche de la Cour concernant les restrictions au droit d’accès à un avocat, adoptant une approche plus contextuelle et moins absolue.

Le droit de l’Union européenne exerce une influence grandissante, notamment à travers les directives sur les droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies. La directive 2016/343 sur la présomption d’innocence a par exemple renforcé certaines garanties fondamentales que les États membres doivent respecter.

La coopération judiciaire internationale pose des questions spécifiques quant à la régularité des procédures transfrontalières. La Cour de cassation a développé une jurisprudence nuancée concernant les preuves recueillies à l’étranger, considérant qu’elles doivent respecter les règles locales mais aussi les principes fondamentaux du droit français.

La libération pour vice de procédure, loin d’être une simple technicité juridique, constitue donc un révélateur des tensions qui traversent notre système judiciaire. Entre protection nécessaire des libertés individuelles et exigence légitime d’efficacité répressive, elle incarne le délicat équilibre que doit maintenir un État de droit. Son évolution future dépendra tant des choix législatifs que de l’adaptation des pratiques professionnelles aux nouveaux défis technologiques et sociétaux. En définitive, la qualité de notre justice se mesure autant à sa capacité à condamner les coupables qu’à sa détermination à protéger les droits fondamentaux de chacun, y compris par le respect scrupuleux des formes procédurales.